Fermée en 1983 par la SNCF suite à l’arrivée des trains à grandes vitesse (TGV), la gare des Brotteaux était amenée à disparaitre. En 1989, Jean-Claude Anaf, commissaire-priseur de talent à Lyon, rachète l'édifice près de 8 millions de francs au lieu des 30 escomptés pour créer un somptueux hôtel des ventes.
Avec le développement des transports et l'arrivée du TGV, le destin de certaines gares de la Belle Époque a naturellement évolué. À Paris, la gare d'Orsay, inaugurée en 1990, est devenue le Musée d'Orsay, haut lieu de l'art du XIXème siècle aux premières années du XXème siècle.
À Lyon, la gare des Brotteaux, inaugurée huit ans après celle d'Orsay est abandonnée en 1981 pour la nouvelle gare de la Part-Dieu et attend un repreneur pour un autre destinée.
Jean-Claude Anaf, un commissaire-priseur ambitieux
Ses grands parents ont fui la Turquie au début du XXe siècle pour échapper aux persécutions contre les Juifs. Fils unique, il sera élevé par sa grand-mère, alors que son père bosse dur dans son magasin de fourrure à Grenoble. Mais ce cancre va faire un stage décisif, chez un commissaire grenoblois réputé, Me Blache. Le déclic qui lui permet de découvrir qu’il est fait pour ça. Les enchères qui montent, l’oeil qui parcourt la salle, le doigt levé qui débusque un acheteur hésitant, le marteau qui frappe... Sa vie.
Bref, les débuts seront difficiles. D’ailleurs en 1981, il est au bord de la faillite. Il rencontre alors Jean Martinon, qui deviendra son associé et son compagnon.
“Au début, j’avais les dents longues. Mais je me sentais rejeté par le microcosme lyonnais et sans faire de parano, je peux vous assurer qu’on ne m’a jamais raté. J’ai dû ramer trois fois plus que les autres pour m’imposer. Mais j’ai puisé ma force dans ce rejet”. Dans les années 80, il fait partie de cette génération de jeunes loups qui vont secouer Lyon.
Avec Jean-Michel Aulas, Guy Dannet, Bruno Bonnell... Mais c’est en rachetant puis en rénovant la gare des Brotteaux, en 1989, que ce commissaire-priseur va enfin se taire accepter par l’establishment. Il prend alors une autre dimension, réalise des ventes d’exception comme “L’homme de la liberté” de César ou le “Clown” de Bernard Buffet. Et il se diversifie dans les ventes judiciaires et dans les enchères de voitures, deux activités qui lui permettent de réaliser l’essentiel de son chiffre d’affaires, 50 millions d’euros. (Source Lyon Mag, octobre 2008)
Vente aux enchères dans la Gares des Brotteaux avec Anaf
Un coup de maître et une consécration pour l'homme au marteau d'ivoire !
Jean-Claude Anaf, en dépit du caractère, audacieux et ambitieux de l'entreprise, saisit cette opportunité sans précédent en rachetant les parties les plus nobles de la gare désaffectée, pour créer un superbe et fonctionnel Hôtel des Ventes d'envergure internationale.
« Le dossier de création-réalisation de la ZAC Gare des Brotteaux a été approuvé par une délibération du Conseil de communauté du 23 juin 1986. L'aménagement et l'équipement de la zone ont été confiés par une convention signée le 10 décembre 1985 à la société d'aménagement et développement immobilier (ADIM), filiale du groupe des grands travaux de Marseille (GTM). Un plan d'aménagement de zone (PAZ) modificatif a été approuvé le 24 mai 1988. Cette opération de requalification de l'ancienne gare et de ses abords s'est développée sur un périmètre d'une superficie d'environ 8 000 m2. L'objectif poursuivi est de ranimer le bâtiment de la gare des Brotteaux en créant des activités commerciales et tertiaires, dans le respect de l'unité architecturale. » Source Métropole de Lyon.
Un projet titanesque mais le résultat espéré fût amplement atteint. Il faut le dire, transformer l'ancienne gare des Brotteaux en Hôtel de Ventes de prestige était osé, mais le commissaire-priseur Jean-Claude Anaf n'a pas lésiné. L'art est un domaine tellement vaste et riche, qu'il fallait absolument un projet d'une telle envergure pour pousser l'homme d'affaire a propulser sa carrière de commissaire-priseur dans la cour des grands. Jean-Claude Anaf n'a pas hésité à faire appel au talentueux architecte Yves Heskia, pour réhabiliter les lieux d'une telle magnificence.
Les Lyonnais si défiants boudent Paris et redécouvrent leur ville. Mieux : les étrangers affluent entre Rhône et Saône. "Lyon est passée en vingt ans de la vingtième place à la deuxième dans le marché de l'art", explique Jean-Claude Anaf.
Les enchères spectaculaires comme le célèbre tableau des Clowns Musiciens de Bernard Buffet vendu à 846 000€ propulse la salle des ventes au 2ème rang des plus grandes places mondiales du marché de l'art. S'en suivront ensuite d'autres ventes comme "le vase aux libellules" d'Emile Gallé adjugé à 362 000€ en 1991 ou comme "La jeune Femme à la barque" du peintre impressionniste américain Frederick Carl Frieseke adjugé 320 000€ en 1994.
Véritable modèle pour une nouvelle génération de commissaires-priseurs, Jean-Claude Anaf a embrassé une carrière d'exemplaire auréolée de nombreuses enchères historiques, depuis sa première vente artistique en 1976 jusqu'à son dernier coup de marteau à l'hôtel des Brotteaux en juin 2008, année ou il cède sa salle des ventes à un confrère parisien.
Jean-Claude Anaf et son équipe posant devant la gare des Brotteaux
Jean-Claude Anaf "La Gare des Brotteaux est devenue un lieu de culture à haute valeur ajoutée"
Article de presse écrit par Jacques Bonnet
« JE ME REALISE DANS LE TRAVAIL », CONFESSE JEAN-CLAUDE ANAF. UN TRAVAIL... “POLYVALENT” OU ŒIL ET MÉMOIRE SONT DES ATOUTS MAJEURS. JEAN-CLAUDE ANAF CÔTÉ COULISSES A LA GARE DES BROTTEAUX i SA RESERVE ! DES COMMODES, LAMPES, VASES, TABLEAUX, ARMOIRES, CANNES, FAUTEUILS, RADIOS... DES PARTS DE PASSÉ PROMIS A COUPS DE CŒUR.
A quarante-trois ans, le commissaire-priseur Jean-Claude Anaf hisse Lyon au rang de grande métropole européenne de la vente aux enchères. L’histoire d’une passion. Au nom du passé.
« En tant que collecteur d ’impôts enregistrements, plus-values et TVA - j’ai versé 6338908F à l’Etat français en 1989 (1).
Je fais le plus vieux métier ! Et en France seulement ce métier existe. Il a été créé par Henri II mais des fouilles à Pompéi ont permis de dégager des tablettes de ventes aux enchères. »
Jean-Claude Anaf a... un œil –l’oeil du maître -, une belle capacité à retenir et «cibler» époques, styles, détails, poinçons, signatures, couleurs et formes, géographie et histoire, mobilier et immobilier, matières et métaux, espace et temps ; auteurs, peintres, sculpteurs, artisans, carrossiers, vignerons... Une bonne dose de psychologie. Il maîtrise de la rhétorique... et un marteau d’ivoire. (Il en possède un de 152 g et un de 188 g – son «maillet» - qu’il juge trop fragile par rapport à sa force de frappe.)
Il y a de l’homme de l’art, du financier, du tribun, du Sherlock Holmes ou du Hercule Poirot chez Me Anaf.
Sa plus belle après-midi ? 30 MF. Un « deux heures non-stop » en juin, avec à l’affiche une quinzaine de Ferrari (entre 60 000 F et 1,5 MF).
IL a vendu une télécarte 18 000 F, un Bernard Buffet - les Clowns - 5,5 MF à un collectionneur de Hong Kong..., un objet à 10 F, des cochons, suite i une saisie, des peintures anciennes du XIXe à Budapest.
* Le public applaudissait après chaque adjudication. A la gare des Brotteaux (2) je vends du soixante-dix lots à l ’heure. Et deux cents bijoux par semaine ! »
Noeud papillon toujours
Comme ses pairs il affronte seul le public. Un public parfois insaisissable qui engendre une peur indicible.
Son one man show est élégant, vif, prenant. Toujours. De rares rires bousculent le cérémonial. La sueur perle sur le front du « meneur de jeu ».
Les grands du spectacle connaissent cette fièvre, ce trac immense balayé là par le rituel et les décors sans cesse renouvelés. Puis deux ou trois heures après, le rideau imaginaire se baisse. Le bilan et quelques dizaines de grammes en moins ! Digne des rings.
Et les coulisses forment un beau rassemblement de mémoires. Jean-Claude Anaf disperse en effet savamment tous les passés : de l’affectif disparu, du beau naguère aimé, de l’insolite, lu dérisoire ou du merveilleux qui s’évanouissent, en coups de cœur, en coups de foudre, en joies.
Pendant quelques heures le pouvoir (1,71 m pour 67 kg) est derrière le pupitre, symbolisé par le marteau, ordonné par des chiffres.
Œil, marteau, mémoire.
« Beaucoup de vendeurs veulent réaliser rapidement même si les prix sont en baisse (New York - 30 % à 40 Ho). Exemple : un tableau que j’estime 300 000 F, le client en exige 400 000 F ; il veut rapidement des liquidités. »
La conjoncture : hautement sensible. Comme pour les places boursières. « Nos meubles et nos peintres augmentent. Sauf ceux qui atteignent une cote spéculative, donc très excessive. »
Me Anaf rédige ses catalogues lui-même assisté de ses experts (3) ; belles précisions dans les estimations. A preuve : un livre de La Fontaine avec des gravures originales de Pierre-Yves Trémois estimé 6 000 F-8 000 F, adjugé 6 000 F. Deux chaises Barbare en métal doré signées du Roannais Marc de Guez estimées 6 000 F-7 000 F pièce, adjugée 6000 F l’une. Ah ! quelle prescience que l’estimation.
« Tout dépend de la qualité de l’objet, précise Me Anaf. Il faut aussi que l’information passe, qu’il soit présenté à Lyon, Paris ou au mont Blanc par -15degrés(4).»
Il a les charmes d’un étudiant toscan qui aurait voué sa vie aux chères études. J.-C. A. : chevelure bien ordonnée sur le côté, sagement désinvolte dans l’en semble. Deux yeux vifs, un gestuel nerveux et précis. Un « look très clean » : chemise bleu pâle sertie d’un nœud papillon - il en possède une centaine -, pantalon velours marron, gilet beige, veste cachemire jaune. Me Anaf est l’un des hommes les plus élégants de Lyon. Mais il n’est pas mondain : jamais à un cocktail. Le week-end : campus ; pas rasé ; jeans, baskets, tee-shirt.
Commissaire-priseur à 99 % de sa vie, J.-C. A. s’accorde deux mois de vacances (Vaucluse de Daudet), voyage au pas de charge, roule en 205 « banalisée » équipée d’un vieux téléphone. De l’aveu de ses proches il conduit mal le citoyen Anaf. « C’est faux », s’insurge-t-il. Et il aime la vitesse. Gare !
Famille, je vous aime !
Atypique acteur économique que ce monsieur courtois mais ferme dans ses desseins, rieur et rigoureux, mariant la causticité avec superbe, foudroyant l’intolérance, fustigeant le mensonge et l’hypocrisie, maîtrisant un secret professionnel que seul le fisc peut violer sur dérogation du parquet, jouant avec enthousiasme la carte « culture d’entre prise » (5) - dix collaborateurs « fidélisés » -, enfin croyant ; mais pratiquant plus par respect envers sa famille que par conviction. Important sa famille.
Me Jean-Claude Anaf est unique. Enfant unique ! « Regardez les héritages… » Lâche-t-il amusé.
Son entrée en vocation n’est pas un conte de fées.
Jean-Claude Anaf effectue un stage de quatre ans chez Me Blache à Grenoble « pour faire plaisir à mes parents ». Une intégration à la Zola. « Ma première mission fut de balayer l'hôtel des ventes, puis j ’ai porté des meubles et des tableaux durant un an... »
Me Blache était de la vieille école. Sourcilleux et précis. Le jeune Anaf, enfant gâté (sic), travaille douze à quatorze heures par jour. « Vous n’êtes pas un stagiaire, me lançait-il. Vous êtes un futur patron. Donc vous n ’avez pas d’horaires !» L'ex étudiant en droit s’initie. Untel lui indique que ce meuble est une commode Louis XV car la marqueterie... Un autre lui révèle les secrets des vases, des tableaux... Mais cette méthode de transmission d’un savoir éclectique n ’a rien de pédagogique. Il apprend. Par l’œil. Et en mémorisant. « Or, révèle Jean- Claude Anaf, je n’avais pas de mémoire. Une faiblesse fâcheuse.
“Vous avez une tête vide, martelait mon patron. Mangez des pommes et du poisson !" A l’école (plusieurs !) j ’étais un désespoir. »
Ses parents sont fourreurs, Grand-Rue. Le « cancre » observe sa maman. Elle court les salles de ventes et sait tout de la brocante. Jean-Claude fait son droit. Enfin ! Sa complice de révisions est Marie- Françoise Callas, aujourd’hui avocate. Un jour elle lui lance : C’est un véritable capharnaüm chez toi. Tu devrais devenir commissaire-priseur. » Le déclic... Jean-Claude Ànaf est devenu l’un des plus dynamiques sages de sa corporation.
L'officier ministériel - il dépend de la Chancellerie - commissaire-priseur de la ville de Lyon - et - en concurrence - pour le Rhône, ne craint pas l’échéance du 1er janvier 1993 et se réjouit, en libéral pragmatique, de 1arrivée de rivaux venus de Londres, Francfort, Milan...
Ce dimanche. 9 décembre, en gare (des Brotteaux) à 15 h, Me Anaf « conduira » une vente : « Objets de décoration et d’ameublement des XVIe, XVIIIe et XXe siècle. »
Une fois de plus, Julien Barbero, député du Rhône, adjoint au maire, disparu en 1936, dont le buste, avenue Brosset, tourne le dos aux Brotteaux, suivra l’arrivée de drôles de touristes, venus sans bagages, et réapparaissant radieux.
(1) « Je suis aussi appréciateur et vendeur avec deux confrères, près le Crédit municipal de Lyon. »
(2) Ouverture de sa salle des ventes 16 février 1989.
(3) Le "paresseux" du lycée Champollion de Grenoble a réalisé 12,8 MF de chiffre d ’affaires en 1989 !
(4) Catalogues adressés également i un organisme de la police qui regroupe des objets volés.
(5) « Il m’arrive d'avoir X fois les mêmes objets à vendre. On les appelle "les éternels accalés".
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La cession d'Anaf à la compagnie de Paris (Claude Aguttes)
Durant l'année 2008, Jean Claude Anaf quitte l'activité artistique relativement serein puisque la pérennité de l'Hôtel des Ventes des Brotteaux est assurée par son successeur Claude Aguttes, un commissaire-priseur Clermontois, qui après obtention de son diplôme s'est installé dans la région parisienne, à Neuilly, pour se consacrer exclusivement au marché de l'art et atteindre la cinquième place au plan national, avec une étude familiale d'une vingtaine de salariés - quatre de ses six enfants travaillent avec lui - plus particulièrement spécialisés dans les ventes de tableaux modernes. (Source Le Tout Lyon, 13-09-2008)
Après 33 ans de carrière. Jean-Claude Anaf, premier commissaire-priseur de province (Lyon ; 35 pers. ; CA : 50 M€) cesse son activité artistique “Anaf Arts Auction"pour se consacrer à l’activité de commissaire-priseur judiciaire dans les secteurs industriel et judiciaire. L'activité est reprise par la Compagnie de Paris de Claude Aguttes (CA : 50 M€ en 2007). président de la société des ventes de Neuilly-sur-Seine et cinquième commissaire-priseur de l’Hexagone. La transaction inclut la cession de la Gare des Brotteaux. monument historique, où se trouve la salle des ventes. (Source Bref Rhône-Alpes, 17-09-2008)